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1976 monreal canadaLes Jeux de Montréal en 1976 ne débutent pas au Québec mais 13 000 kilomètres plus loin. A Soweto, le plus dense et le plus peuplé des townships d’Afrique du Sud, ces quartiers symboles de l’apartheid et réservés aux non-Blancs. Le 16 juin 1976, cinq semaines avant la cérémonie d’ouverture des JO du 21 juillet, des milliers de collégiens, de lycéens et d’étudiants de Soweto se rassemblent...

 

dans la rue pour protester contre l’obligation qui leur est faite d’apprendre à l’école l’afrikaans, la langue des colons dérivée du néerlandais, synonyme de leur domination.

 

Pour les disperser, la police sud-africaine tire à balles réelles sur les jeunes manifestants. Une photo fait le tour du monde : on y voit un écolier tenir dans ses bras le corps sans vie d’Hector Pieterson, 12 ans, avec la sœur du défunt en larmes juste à côté, dans son costume d’écolier. Des centaines de jeunes gens mourront ce jour-là et dans ceux qui suivront, tués sous les balles de la police…

L’Organisation de l’Unité africaine (OUA)


Depuis 1964, l’Afrique du Sud s’est vu barrer l’accès aux Jeux pour cause d’apartheid : le pays sait depuis longtemps qu’il n’enverra pas d’athlètes à Montréal. Mais cette exclusion de longue date ne va pas empêcher pour autant les émeutes de Soweto de percuter l’avant-Jeux. Au même moment, les Etats d’Afrique, qui pour beaucoup ont conquis leur indépendance dans les vingt années précédentes, se retrouvent à un congrès de l’Organisation de l’Unité africaine (OUA), une instance supranationale dont la principale revendication est la fin de l’apartheid en Afrique du Sud et en Rhodésie (le futur Zimbabwe).

           « L’Afrique parle alors presque d’une seule voix et se présente comme une puissance géopolitique émergente, dont l’OUA est l’instrument », explique l’historien Nicolas Bancel, un des commissaires de l’exposition « Olympisme, une histoire du monde », au Palais de la Porte dorée à Paris, consacrée aux liens entre JO et politique.

Le message des pays africains ?


Pour sanctionner l’Afrique du Sud après les émeutes de Soweto, l’OUA tente de parachever l’isolement du pays, qu’il soit économique, politique ou sportif. Les pays membres de l’Organisation concentrent alors leurs tirs sur la Nouvelle-Zélande, qui a eu le tort d’envoyer quelques mois plus tôt ses All Blacks jouer des matchs de rugby en Afrique du Sud contre l’équipe des Springboks, composée uniquement de Blancs. Le message des pays africains ? La Nouvelle-Zélande doit être exclue des Jeux de Montréal, sans quoi ils boycotteront les JO et retireront leurs athlètes inscrits aux compétitions. Une menace nouvelle.

 

Si le boycott des Jeux a toujours existé – dès 1896 à Athènes, les premiers de l’ère moderne, l’Empire ottoman décide de ne pas envoyer d’athlètes chez l’ennemi voisin –, jamais cet outil n’avait été brandi de façon coordonnée et massive avant les pays africains. En 1972, à Munich, un coup de pression analogue avait abouti de justesse, quatre jours avant la cérémonie d’ouverture, à l’exclusion de la Rhodésie – à la grande fureur de l’Américain Avery Brundage, alors grand patron du CIO et connu pour son conservatisme mâtiné de racisme…

Un boycott massif qui sidère le monde


A Montréal en 1976, le CIO est de nouveau pris de court. Comme les athlètes des pays africains, qui, pour beaucoup, sont déjà au Québec et attendent leur entrée en compétition. Mais le Comité international olympique ne plie pas : il avance que le rugby n’est pas un sport olympique et qu’il n’a aucun moyen de contrôle sur la tournée des rugbymen néozélandais en Afrique du Sud. Hors de question de laisser s’organiser des boycotts sur des questions que le CIO ne maîtrise pas.

 

Résultat, vingt-deux délégations mettent leur menace à exécution, font leurs valises et rentrent au pays : l’Algérie, le Centrafrique, le Tchad, le Congo, l’Ethiopie, le Gabon, la Gambie, le Ghana, la Haute-Volta, le Kenya, la Libye, Madagascar, le Malawi, le Mali, le Niger, le Nigeria, ainsi que le Soudan, puis dans un second temps la Tunisie, le Cameroun, l’Egypte, l’Irak et le Maroc. Seuls deux pays d’Afrique ne rejoignent pas le boycott : le Sénégal et la Côte d’Ivoire, les nations restées les plus proches de la France, dont l’équipe de rugby est elle aussi allée jouer des matchs en Afrique du Sud un an plus tôt…

Le boycott massif de 1976 sidère le monde et en annonce d’autres, en 1980 et 1984 : celui des Etats-Unis et de 65 autres pays lors des Jeux de Moscou, puis en retour celui de l’URSS et du bloc de l’Est lors des JO de Los Angeles… « A cause des boycotts de 1980 et 1984, qui représentent le dernier grand épisode de la guerre froide, celui des JO de Montréal a fini par être historiquement relégué au second plan, raconte Nicolas Bancel. Alors même que cette année 1976 est une date centrale pour la multipolarité du monde. Mais peut-être est-ce malheureusement le destin des pays du Sud d’être trop souvent relégués en appendices d’une histoire occidentalo-centrée. »

 

 

Clément Lacombe

LeNouvel Obs