Sur les marchés internationaux et bientôt dans les rayons des supermarchés, le café devient un luxe. Le cours de l’arabica (70 % de la production mondiale), s’est envolé à 3,20 dollars la livre fin novembre, à New York.
C’est deux fois plus qu’en début d’année. Jamais la matière première n’avait été aussi chère depuis 1977 ! Le grain est devenu si lucratif que les exploitations de caféiers « deviennent des scènes de crime », rapportait récemment Bloomberg.
En Ouganda, deux associations d’agriculteurs affirment que les vols ont atteint des niveaux sans précédent, au point d’installer des miradors dans les plantations. En France, le prix d’une tasse de café, consommé par 8 Français sur 10, a déjà augmenté de dix centimes au comptoir, en moyenne, depuis janvier 2024, selon la Fédération des Maîtres restaurateurs.
Plusieurs facteurs expliquent cette inflation. Le réchauffement climatique met à rude épreuve la production mondiale, avec une demande supérieure à l’offre depuis maintenant trois ans. À l’instar du cacao, qui a pulvérisé son record cette année, s’échangeant à 12.000 dollars la tonne au printemps, le climat a ravagé, en 2024, les récoltes du premier producteur et exportateur de café, le Brésil. Des incendies hors norme ont sévi plusieurs semaines cet été, de l’Amazonie, au nord, jusqu’au sud du pays, alimentés par une sécheresse historique.
Inquiétude sur les stocks
Malgré les pluies récentes, le temps sec antérieur a causé des « dommages durables », avec des précipitations inférieures à la moyenne depuis avril, explique l’analyste de Mirabaud, John Plassard. Et ce, pendant la phase cruciale de la floraison. Résultat, les perspectives de la récolte brésilienne sont moroses. L’USDA, ministère de l’Agriculture américain a calculé que la production de café brésilien en 2024-2025, s’élèverait à 66,4 millions, ce qui est inférieur aux prévisions précédentes qui tablaient sur environ 70 millions de tonnes. L’inquiétude se porte aussi sur les stocks : 1,2 million de sacs à la fin de la saison, en juin, soit une baisse de 26 % par rapport à la précédente. À cela s’ajoutent les problèmes de sécheresse au Costa Rica et surtout au Vietnam, qui produit environ 40 % des fèves robusta (utilisées pour le café instantané).
En novembre, ces tensions sur l’approvisionnement ont entraîné une certaine panique chez les acheteurs. Sur les marchés boursiers, le vivier est très concentré. On retrouve les grands groupes comme Nestlé, qui acquiert du grain en masse pour ses marques de café et distributeurs. « La peur des tarifs brandis par Trump a exacerbé la situation, argue cet ancien trader de Dreyfus, Baptiste Quidet, co-fondateur de la start-up Verto (marketplace pour échanger les matières premières de manière transparente). Ils se sont précipités pour couvrir leurs inventaires et cette ruée sur le marché physique conduit à une escalade des prix ». Jusque-là, ni plus, ni moins, que la loi de l’offre et la demande. Or, si les craintes sur les volumes mondiaux demeurent avérées, plusieurs acteurs dénoncent une spéculation à outrance, de la part de fonds d’investissement.
Trading de haute fréquence
« On voit que l’impact des aléas climatiques sur les récoltes mondiales de café est moins important que prévu et qu’avec 160 millions de sacs cette année, la production couvrira largement les besoins, observe Jean-Pierre Blanc, directeur général des cafés Malongo. Il n’y a donc pas de pénurie, mais simplement moins de surstocks qu’habituellement. La volatilité et la hausse actuelle sont dues à des fonds qui spéculent sur les marchés mondiaux, souvent via des instruments de trading à haute fréquence. On nous fait croire que c’est le changement climatique qui fait flamber les cours. Mais c’est surtout un système économique mondial qui fait confiance à l’autorégulation des marchés, une autorégulation illusoire. »
Le trading à haute fréquence aggraverait la volatilité, car ce système utilise des algorithmes qui réagissent en chaîne à la moindre variation de prix. Dans ce cas précis, une tension sur l’offre réelle (problèmes au Brésil et au Vietnam) a probablement déclenché une série d’achats frénétiques, amplifiant la hausse des prix. « Il y a une décorrélation entre les conséquences des mauvaises récoltes et la brutalité du changement des cours », souscrit Nicolas Eberhart, coordinateur de l’équipe d’agronomes de la Scop Ethiquable. Ce n’est pas nouveau, c’est cyclique : on considère que le café est le deuxième marché le plus spéculatif derrière le pétrole.»
Loi européenne sur la déforestation
De manière générale, a contrario du cacao où la production est ultra-concentrée, en Afrique de l’Ouest, et où les gouvernements fixent un prix plancher avant le début de la saison, l’explosion des prix du café profite davantage aux producteurs. C’est lorsque la chute des prix est brutale, que cela est plus compliqué. En 2021, la flambée des prix avait duré un an avant de retomber brusquement, de 240 dollars le sac à 150 dollars. Cette volatilité accentue la spéculation, appuie Nicolas Eberhart. « Si le café n’est pas rémunérateur, les agriculteurs n’entretiennent pas les parcelles donc il y a moins de stocks et les prix s’envolent ».
Autre facteur qui tire les cours à la hausse, la loi européenne sur la déforestation, qui entrera en vigueur fin 2025. Le texte impose aux producteurs et aux exportateurs de prouver que leurs produits ne proviennent pas de zones déboisées après 2020. Cette nouvelle contrainte suscite des inquiétudes chez les producteurs, en particulier en Amérique latine, où une grande partie du café est cultivée dans des zones à risque de déforestation. La mise en conformité nécessite des investissements importants dans des outils de traçabilité qui augmentent de facto les coûts de production. De plus en plus de spéculateurs sur les marchés intègrent ces craintes dans leur stratégie, anticipant une réduction de l’offre de café certifié pour l’exportation vers l’Europe.
Clara Galtier
Le Figaro