Lorsque la marée est basse, Errol Renaud peut voir des plantes sous-marins qui sont au fond de l'océan. Il a une vue depuis sa maison sise sur l'île de Mahé aux Seychelles. Il fait partie des activistes qui ont retardé le projet de construction d’un hôtel.
Un projet qui aurait fait perdre aux Seychelles de nombreux hectares de terres. "Il y a beaucoup d’herbiers ici. Les pêcheurs installent leurs pièges à poissons", explique Renaud.
Deux remises en état de terrains près de chez lui ont déjà perturbé les herbiers marins qui servent de barrière à la montée du niveau des océans et aux conditions extrêmes. "Cette remise en état s’effectuait auparavant, pendant la mousson. Cela signifie que beaucoup plus de sable arrive d'un côté, et nous constatons que les vagues sont beaucoup plus hautes.
"Avec le changement climatique, les choses ont changé". Errol Renaud vit dans la région depuis plus de deux décennies. Il voit ses terres disparaitre à cause de la montée des eaux.
Les zones humides côtières - comme les herbiers marins, les mangroves, les marais et les marécages présentent de multiples avantages pour la préservation de l’environnement.
Au-delà de la lutte contre la montée des eaux, des intempéries causées par le changement climatique, la promotion de la biodiversité, les herbiers marins sont perçus comme l'une des solutions les plus efficaces pour lutter contre le réchauffement climatique.
Une étude publiée par la revue de recherche biologique de la Royal Society indique que les herbiers capturent le carbone 35 fois plus rapide que les forêts tropicales.
S'ils ne sont pas perturbés, ils peuvent retenir du carbone pendant des milliers d'années, bien plus longtemps que les plantes terrestres. Ils jouent ainsi le rôle de puits de carbone naturel.
Ils représentent 10% de l'enfouissement total de carbone dans l'océan selon un rapport de la revue scientifique Nature Géoscience.
Mais la quantité totale d'herbes marines diminue, créant le risque de voir cette plante marine disparaître bientôt, selon des chercheurs américains.
Lors de la COP27 qui s’est tenue le mois dernier en Égypte, des militants et des organisations internationales ont appelé à une plus grande volonté de protection de l’environnement.
Ils ont prôné des solutions basées sur la nature pour lutter contre le changement climatique.
En tant que pays composé de 115 îles basses, les Seychelles sont extrêmement vulnérables face aux effets du changement climatique.
Le gouvernement s'est engagé à protéger la moitié de ses herbiers et mangroves d'ici 2023, et 100% d'ici 2030.
Cette année, il est devenu l'un des premiers pays à cartographier avec précision tous les écosystèmes d'herbiers marins à l'échelle nationale.
Un projet de la société indépendante SeyCCAT est à l'origine de la cartographie et de l'analyse de la faune maritime. Il fournit les résultats au gouvernement.
Il a également sensibilisé le public par rapport aux herbiers marins - en produisant un programme de sensibilisation à leur sujet. Il est destiné principalement aux écoliers et aux étudiants.
Les pays utilisent généralement l'imagerie satellite pour cartographier les herbiers marins, mais cela n'est pas fiable. On peut facilement les confondre avec des algues.
Le projet SeyCCAT a entrepris des travaux sur le terrain à l'aide de la technologie de télédétection et a prélevé des échantillons de sédiments pour cartographier de manière fiable la faune maritime.
Dans un laboratoire de l'Université des Seychelles, les chercheurs décomposent les quelque 2 600 échantillons pour obtenir le carbone.
"Nous aimerions connaître la quantité de carbone stockée dans les herbiers marins au cours des dernières années, afin d'informer le gouvernement.
Les autorités souhaitent déterminer la teneur en carbone de ces herbiers marins aux Seychelles", déclare Jérôme Harlay, responsable de l'environnement. Scientifique qui travaille sur le projet.
"Nous aimerions utiliser ces chiffres pour atténuer les effets du changement climatique. Combien de carbone ils peuvent éliminer de l'atmosphère, par rapport à ce que l’activité humaine ajoute."
Cette analyse signifie que les Seychelles pourraient être le premier pays à déclarer ses stocks de carbone bleu à l'ONU dans le cadre de son rapport sur les émissions de gaz à effet de serre.
Et elles seront en mesure de montrer comment ces stocks de carbones aident le pays à respecter les chartes de l'Accord de Paris qui ont pour objectif de maintenir le réchauffement climatique à 1,5 degrés Celsius.
Après avoir cartographié les écosystèmes, le gouvernement peut définir sa stratégie politique, sa stratégie de gestion continue et son cadre juridique.
C'est la prochaine phase du projet SeyCATT. Les initiateurs vont travailler avec le gouvernement.
Il faut savoir que les Seychelles détiennent des stocks de carbone bleu qu’ils pourront commercialiser dans d'autres pays qui souhaitent diminuer leurs émissions.
Le commerce du carbone peut être un atout économique et en même temps un moyen de protection des herbiers marins, selon le secrétaire principal du ministère seychellois de l'Agriculture, du Changement climatique et de l'Environnement, Denis Matatiken.
"Les Seychelles dépendent fortement de la pêche et du tourisme. Ces deux secteurs sont considérés comme les piliers de notre économie", déclare M. Matatiken.
"Cependant, le fondement de ces piliers est l'environnement. Donc, en protégeant l'environnement, cela va renforcer nos potentialités économiques. Et c'est ainsi que nous pouvons grandir en tant que petite nation insulaire."
Alors que les pays continuent de s'engager à atténuer le réchauffement climatique, Preethi Sushil Nair, du Programme des Nations Unies pour le développement aux Seychelles, affirme que ce projet aux Seychelles peut également servir de guide à d’autres pays du monde.
"C'est possible car nous savons que les solutions se trouvent dans la nature.
Mais elle dit que disposer "des outils en termes de données, d'analyses, de cartes" est nécessaire pour que d'autres pays élaborent leurs propres politiques qui aident à lutter contre le changement climatique.
"Et tant qu’il y a de la déterminations et un engagement communautaire, alors le taux de réussite peut être énorme."
En ce qui concerne la zone côtière, Renaud considère la protection des herbiers et l'utilisation des stocks de carbone bleu comme seule alternative.
"Si nous regardons notre potentiel en carbone et les herbiers de notre région, avec environ 50 hectares, nous pourrions compenser les revenus qui devrait venir du projet d’hôtel."
Alors que les Seychelles ont encore du chemin à parcourir pour vraiment utiliser leurs stocks de carbone bleu, elles offrent une solution pour réduire le réchauffement climatique. D’autres pays peuvent suivre l’exemple des Seychelles.
Dingindaba Jonas Buyoya
Role,Lauréat du prix Komla Dumor de BBC News