Pour faire face à l'urgence et accueillir les familles ukrainiennes fuyant la guerre, 637 logements confisqués au crime organisé ont été mis à la disposition des préfectures et des communes par le ministère de l'Intérieur italien.
Milan, pour marquer le premier anniversaire de la guerre en Ukraine,
un rassemblement a lieu sur la piazza del Duomo, en plein cœur du chef-lieu de la Lombardie, la région italienne qui accueille le plus de réfugiés ukrainiens.
Le vendredi 24 février 2023 à Milan, pour marquer le premier anniversaire de la guerre en Ukraine, un rassemblement a lieu sur la piazza del Duomo, en plein cœur du chef-lieu de la Lombardie, la région italienne qui accueille le plus de réfugiés ukrainiens.
À Rescaldina (Lombardie, Italie).
En Italie, depuis la loi Rognoni-La Torre de 1982, qui a introduit la confiscation des biens aux organisations criminelles, près de 40.000 biens immobiliers (maisons, terrains, magasins) ont été saisis à la mafia. En 2010, une agence nationale dédiée a été créée pour gérer ce patrimoine, d'une valeur estimée à plus de 300 millions d'euros. Une fois les biens récupérés, l'Agence nationale pour la gestion des biens saisis et confisqués au crime organisé (ANBSC) les attribue aux communes pour des projets solidaires, centres d'accueil, espaces culturels, lieux de formation, jardins partagés ou épiceries solidaires. L'objectif: les remettre au service de la société.
«Quelques jours après le début de la guerre en Ukraine, le ministre de l'Intérieur nous a demandé d'identifier tous les biens confisqués disponibles pour accueillir les réfugiés ukrainiens», se souvient Bruno Corda, directeur de l'ANBSC. Après visites et états des lieux des appartements, «nous en avons identifié 637 dont 176 habitables immédiatement», c'est-à-dire sans délais d'aménagement ou de rénovation. Ce sont ensuite les préfectures et les communes qui ont géré l'accueil des familles dans ces biens particuliers.
C'est comme ça que Tetiana, sa mère et ses quatre enfants se sont installés en mars dernier à Rescaldina (Lombardie), une commune de quelque 14.000 habitants à une trentaine de kilomètres au nord-ouest de Milan. Fin février 2022, quand elle a compris que la guerre ne s'arrêterait pas, cette mère de famille originaire de Boutcha a pris tout ce qu'elle pouvait dans une valise et est partie avec sa mère et ses enfants, laissant derrière elle son mari, sa sœur et son gendre.
Un premier bus les a emmenés à la frontière polonaise, dans un centre d'accueil d'urgence. Le lendemain, la famille est montée dans un autocar. Vingt-quatre heures de voyage à travers la République tchèque, la Slovaquie, l'Autriche et enfin l'Italie. Une fois à Milan, Tetiana et sa famille ont été prises en charge par la Croix-Rouge et hébergées dans un centre d'accueil pendant une semaine.
«Un message très fort» envoyé au crime organisé
La suite, Gilles Ielo, le maire de Rescaldina s'en souvient. C'est lui qui est allé les chercher en voiture à Milan pour les emmener dans cet appartement. Confisquée en 2006 à la famille di Giovine, à la tête d'un clan milanais de la 'Ndrangheta –la plus riche mafia italienne, implantée en Calabre–, cette petite villa située en plein centre-ville a d'abord été utilisée pour un projet d'accompagnement aux personnes souffrant de handicap.
«Le projet étant suspendu, j'avais indiqué à la préfecture que cette maison était disponible et je suis heureux qu'elle puisse être utilisée ainsi», confie le maire, qui y voit un symbole fort dans la lutte contre le crime organisé. «C'est important de ne pas laisser ces lieux vides et quand on répond à une urgence sociale comme celle-là, je crois que c'est un message très fort que l'on envoie à la mafia.»
Dans l'agglomération milanaise, qui a accueilli près de 14.000 réfugiés ukrainiens depuis le début du conflit, une dizaine de biens confisqués ont été mis à disposition par la préfecture. L'intégration et le suivi des familles sont ensuite assurés par des associations.
C'est le cas de la Fondation Somaschi, qui suit actuellement huit familles dans différentes communes aux alentours de Milan, dont celle de Tetiana. «Les enfants sont scolarisés, nous organisons des cours d'italien en dehors de l'école. Pour chaque famille, une médiatrice vient plusieurs fois par semaine pour prendre des nouvelles, aider pour les démarches administratives. Nous avons aussi un psychologue qui suit certain d'entre eux», détaille Serena Banfi, qui coordonne le projet pour la Fondation Somaschi.
«C'est chez eux»
Serena Banfi était présente lors de l'arrivée de Tetiana, en mars dernier: «Je me souviens qu'ils étaient surtout soulagés d'avoir un endroit pour eux et enfin un peu d'intimité.» Selon la jeune femme, c'est l'un des avantages de ce type d'accueil. «Contrairement aux autres structures où les espaces communs et parfois même les chambres sont partagées, là, ils ont leurs appartements. C'est chez eux.»
L'emplacement de ces biens confisqués joue aussi un rôle important. «Ce ne sont pas des appartements isolés, les familles peuvent rencontrer leurs voisins, les enfants jouer au foot dans la cour, poursuit Serena Banfi. J'ai l'exemple d'une famille dont la voisine leur donne gratuitement des cours d'italien, en plus de ceux que nous proposons.»
L'association essaye également d'organiser des événements pour rassembler toutes les familles. «Ce vendredi 24 février, les écoles ont été fermées pour le carnaval. On s'est dit qu'on en profiterait pour faire une sortie tous ensemble.»
«Un exemple sur lequel s'appuyer»
À des centaines de kilomètres plus au sud, Rome, est –avec Milan– la ville qui a accueilli le plus de réfugiés depuis le début de la guerre en Ukraine: près de 12.000, selon les chiffres communiqués par la préfecture. Depuis le début du conflit, d'après les dernières données du Haut commissariat aux réfugiés des Nations unies (UNHCR), plus de 170.000 réfugiés ukrainiens étaient arrivés en Italie fin janvier 2023, soit plus d'un tiers de plus qu'en France (118.994 au 31 octobre 2022).
Chef de cabinet adjoint du préfet de Rome, Gerardo Caroli énonce: «Seize biens ont été mis à la disposition des familles ukrainiennes. Trois sont pour l'instant occupés, trois en train d'être rénovés, quatre en évaluation avant travaux. Et, pour l'instant, nous avons volontairement mis de côté les six autres qui sont en dehors de Rome.»
«Nous avons choisi en priorité des familles dont les exigences sanitaires étaient les plus contraignantes et pour lesquelles un appartement était plus adapté qu'un centre d'accueil, poursuit Gerardo Caroli, plus nuancé sur l'efficacité du dispositif. Un appartement peut accueillir jusqu'à huit personnes. Vous imaginez combien d'appartements il faudrait pour faire face à l'urgence de la situation? C'est un outil de plus dans tout le dispositif d'urgence que nous avons mis en place, mais ce n'est évidemment pas suffisant.»
Mais pour Tatiana Giannone, référente nationale des biens confisqués pour l'association antimafia Libera, ce dispositif est surtout la preuve que, face à l'urgence, il est possible de dépasser les rouages administratifs. «Parfois, il peut se passer dix ans entre la confiscation d'un bien et son attribution à un projet associatif. En attendant, il se détériore et les travaux sont parfois considérables après, déplore-t-elle. Or là, on voit qu'en situation d'urgence, il est possible d'accélérer le processus. C'est un exemple sur lequel on doit s'appuyer.»
Laure Giuily — Édité par Émile Vaizand
Source: SLATE