En s’abstenant de nommer un nouveau Premier ministre, celui qui se rêve en « maître des horloges » exerce pleinement ses prérogatives constitutionnelles, au risque d’en abuser. Alors même que sa légitimité comme son autorité sont
directement affectées par des défaites politiques et électorales successives qui revêtent un caractère personnel, il continue d’agir en majesté, en « monarque républicain ». Une inconséquence douloureuse pour qui est attaché à une lecture démocratique de nos institutions.
En entrant de plain-pied dans l’arène politique, lors de la campagne présidentielle de 2017, Emmanuel Macron avait fait du « renouveau démocratique » un axe essentiel de son programme, un pilier du « nouveau monde » qu’il appelait de ses vœux. Or, depuis son élection à l’Elysée, sa manière verticale d’exercer le pouvoir est une forme caricaturale du présidentialisme qui anime la Ve République. S’inscrivant dans la lignée du mode de gouvernement insufflé par Nicolas Sarkozy, sa conception pyramidale et managériale de la démocratie atteste la prégnance d’une culture politique atypique conjuguant techno-libéralisme et bonapartisme.
Or cette sorte d’hyperprésidentialisme qu’il incarne se trouve plus que jamais déconnectée de la nouvelle donne politique. Dans la continuité du résultat des élections européennes, les élections législatives qu’il a lui-même provoquées l’ont sanctionné et affaibli. Le bloc macroniste a perdu sa majorité relative et se trouve désormais minoritaire à l’Assemblée nationale. Une défaite et un déclassement vécus d’abord sur le ton du déni et de la vérité alternative, avant de laisser place à une sorte de relativisme : à défaut d’avoir gagné, le bloc macroniste serait encore légitime à gouverner avec des forces d’appoint qu’il jugerait apte. Principe à l’origine duquel le président a rejeté sans appel la proposition de nomination à Matignon de Lucie Castets, alors même qu’elle est soutenue par la coalition de gauche arrivée en tête des élections législatives et forte désormais d’une majorité relative à l’Assemblée nationale. En sus de ce refus critiquable au regard d’une certaine tradition républicaine et parlementaire, le fait de se complaire dans une forme d’abstention de décision de toute nomination nourrit l’hypothèse d’un « abus de pouvoir », au sens d’un exercice excessif d’un pouvoir légalement conféré.
Abus d’une prérogative constitutionnelle
En France, en vertu de l’article 8 de la Constitution, le choix du Premier ministre est une prérogative propre du président de la République. A la différence des IIIe et IVe République, l’acte présidentiel de nomination est libre, discrétionnaire (mais avec une limite politique : la possibilité pour l’Assemblée nationale d’adopter une motion de censure – article 50 de la Constitution – et de pousser à la démission le Premier ministre nommé). Il n’est soumis ni à certaines autorisations, ni à la consultation des partis représentés à l’Assemblée nationale, ni même au respect d’un délai formellement prescrit. Jusqu’alors, ce silence juridique n’avait jamais été véritablement exploité en vue d’une nomination relativement rapide du Premier ministre.
Après la dissolution de l’Assemblée nationale, le fol été des constitutionnalistes
Aujourd’hui, dans des circonstances politiques certes inédites, marquées par l’absence de parti ou de coalition disposant de la majorité absolue à l’Assemblée nationale, le président est tenté d’abuser de sa prérogative constitutionnelle. La date de nomination de la/du Premier ministre n’est toujours pas arrêtée. Or quand bien même l’article 8 de la Constitution ne prévoit pas de délai en la matière, le président a bien l’obligation de procéder à cette nomination. Il n’a pas à conditionner celle-ci à un accord de coalition qu’il aurait prédéfini. Une telle interprétation de son pouvoir de nomination l’autoriserait à placer notre démocratie « en pause », ad vitam, du moins jusqu’à l’issue de son mandat. Hypothèse susceptible de convoquer alors l’article 68 de la Constitution, selon lequel le président de la République peut être destitué en cas de « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat »…
Trêve olympique et bilan des législatives… Macron, le grand manipulateur des mots et du langage
Par son insoutenable légèreté, le président Macron continue d’afficher une attitude qui nourrit la défiance de citoyens à l’égard d’un système politique et institutionnel sur lequel nombre d’entre eux ont le sentiment de ne plus avoir aucune prise, y compris lorsqu’ils se mobilisent largement dans les urnes comme dans les rues. En cela, la réflexion que doit nourrir cette séquence historique doit porter essentiellement sur le déficit démocratique de nos institutions et de ses acteurs, qui, comme nous l’a enseigné Montesquieu, sont naturellement enclins à abuser de leur pouvoir…
Opinion de Béligh Nabli
Le Nouvel Obs